Tu es venue me rencontrer lorsque tu as appris que tu étais enceinte. Je me souviens : tu étais tellement triste ! Silencieuse, craintive, le regard fuyant, tu t’es assise devant moi cherchant quelque réconfort. J’hésitais à ouvrir la conversation tellement je te sentais fragile et perdue dans tes pensées. Puis doucement tu m’as ouvert le livre de ta blessure intérieure et de ta souffrance ; tu m’as parlé de tes études, de tes relations et de tes projets dramatiquement engloutis par cette grossesse que tu n’avais pas prévue. Nous avons longuement regardé les obstacles, cherché une issue, envisagé les avenues possibles et exploré les diverses options à travers la fenêtre importante de tes valeurs et de ta propre spiritualité.
Je suis là pour toi et je ne t’abandonnerai pas, quelle que soit la décision que tu prendras
Et puis tu es partie, apaisée d’avoir partagé tes inquiétudes, tes craintes et ton ambivalence. Tu es partie avec les outils de discernement que je t’ai proposés et sur les paroles qui viennent de mon cœur et que je redis à chaque personne après une intervention : « Je suis là pour toi et je ne t’abandonnerai pas, quelle que soit la décision que tu prendras ».
Je n’avais plus de nouvelles de toi depuis quelques jours mais je pensais à toi. Puis, le téléphone sonna. Tu venais de vivre une IVG et l’infirmière de la clinique te recommanda de ne pas retourner à la maison sans une personne pour te raccompagner. J’ai répondu : « Présente ! » Je partis aussitôt.
Chemin faisant, je réfléchissais à la situation. Je me demandais comment on pouvait traverser une telle épreuve sans être accompagnée par un proche. Je pensais connaitre ta fragilité, mais derrière elle se cachait une force insoupçonnée ; tout à coup je comprenais que tu avais eu le courage d’affronter seule cette étape de ta vie, que j’étais peut-être une des rares personnes à être informée du drame que tu vivais. J’ai senti toute la confiance que tu plaçais en moi : ce moment-là, je ne peux l’oublier.
Le moindre geste de compassion, le petit pas vers l’autre, l’écoute et la réponse à un appel de détresse sont des moments de grâce.
Je suis arrivée à la clinique et tu as pris mon bras jusqu’à la voiture. Nous n’avons pas beaucoup parlé durant le court trajet jusque chez toi : tu semblais à la fois triste et soulagée. Je t’ai remis les deux gâteaux que j’avais apporté en partant de chez moi ; tu les accueillis comme un trésor précieux et tu es disparue derrière la porte de ton appartement. J’ai pleuré en revenant chez moi, car j’avais compris quelque chose de grand : le moindre geste de compassion, le petit pas vers l’autre, l’écoute et la réponse à un appel de détresse sont des moments de grâce.
Tout ne s’est pas arrêté là. Tu m’as rappelée car tu voulais vivre un rituel de deuil. Je t’ai alors proposé un lieu où tu as vécu avec d’autres personnes un moment d’intériorité important pour toi. Plus tard, on s’est revues dans un café et c’est à ce moment précis que j’ai compris que la décision si éprouvante que tu avais prise à un moment charnière de ta vie était pleinement assumée. L’expérience vécue ensemble allait devenir pour toi comme pour moi un tremplin vers la décision de servir autrui dans la gratuité.
Une intervenante de La Roselière